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Le crime de l'avenue de Nantes
Publié dans "Faits divers" et mis en ligne le jeudi 30 octobre 2014 à 17h42
Mercredi, 11h30, Pierre Pairault rentre à son domicile situé dans le bas de l'avenue de Nantes. Il trouve porte close et sa vie bascule. Nous sommes en 1930, le 10 décembre exactement. L'avenue de Nantes s'appelle alors la route de Fontenay. Que s'est-il passé ? La Gazette vous relate aujourd'hui cet horrible fait divers qui a défrayé la chronique niortaise et marqué les esprits pexinois.
Mais tout d'abord, plantons le décor. Pierre Pairault réside avec son épouse dans une modeste maison située en bordure de route au lieu dit "La Côte St-Hubert". Cette maison fait partie d'un ensemble bâti encadrant une cour commune. On accède à la maison côté route par une porte vitrée donnant sur l'unique pièce. Sous la pièce de vie a été creusée une cave qui débouche, à l'arrière, sur la cour commune.
Le 10 décembre, trouvant porte close (la porte était "barrée de l'intérieur", écrit le journal), Pierre Pairault appelle sa femme, mais en vain. En désespoir de cause, il fait le tour du pâté de maisons, passe par la cour commune, entre chez lui par la cave et gravit les marches qui mènent à la pièce. Là, c'est une vision d'horreur qui s'offre à lui. Le corps sans vie de son épouse git à même le sol. Son visage est maculé de sang et martelé de coups. L'immense désordre qui règne dans la pièce témoigne d'une lutte acharnée. La porte de l'armoire est ouverte, son contenu a été fouillé et de l'argent a été dérobé.
Pour Pierre Pairault la cause est entendue : son épouse a été victime d'un rôdeur. Mais les enquêteurs ne l'entendent pas de cette oreille. Bien au contraire Pierre Pairault devient le principal suspect. A cela deux raisons principales. Tout d'abord, une rapide enquête de voisinage met en évidence que les époux Pairault ne s'entendaient plus. Les journées étaient émaillées de nombreux cris et de fréquentes disputes. A un point tel que Pierre Pairault avait décidé de quitter le domicile pour s'installer dans une petite maison qu'il était en train de construire. Mais pour mener à bien son projet, Pierre Pairault avait besoin des maigres économies du ménage dont son épouse refusait de se dessaisir. Ensuite, la porte de la rue étant toujours "barrée à clef" lorsque Pierre Pairault s'absentait, le rôdeur aurait dû nécessairement passer par la cour commune. Or, le jour du crime, aucun des voisins n'avait vu un étranger pénétrer dans la cour ou en sortir.
Pour les enquêteurs la cause est entendue : Pierre Pairault est l'auteur et le bénéficiaire du crime crapuleux perpétré sur son épouse. Mais Pierre Pairault ne s'en laisse pas compter. Il n'avoue pas. Il ne lâche rien. Il résiste, le bougre !
Devant tant de résistance, l'enquête reprend à zéro et est confiée à une pointure, l'inspecteur principal Brétécher de la brigade mobile d'Angers. Ce dernier remarque rapidement deux éléments du dossier qui ont échappé à la vigilance des enquêteurs. Tout d'abord, le jour du crime, le loquet de la porte côté rue (que Pierre Pairault n'a pu ouvrir) était bloqué par un demi-crayon rouge à grosse mine semblable à celui qu'utilisent les charpentiers. Ensuite, dans une dépendance de la cour, du foin éparpillé et tassé laisse à penser que quelqu'un y a dormi (ou s'y est caché) la veille du crime.
L'enquête prend alors un tour nouveau. Une personne a bien été vue dans le voisinage le jour du crime. il s'agit de Maurice Pigeau, jeune homme de 18 ans, défavorablement connu des services de police et qui réside chez son frère à quelques maison de là. Maurice Pigeau a été embauché quelques jours auparavant par la scierie Laveau installée rue de Brioux et s'est vu remettre à cette occasion... un demi-crayon rouge de charpentier à grosse mine. Depuis le crime Maurice Pigeau a disparu. Il sera retrouvé et arrêté le 26 décembre là où il avait trouvé refuge ; sous le pont de chemin de chemin de fer de la rue de la Burgonce. il avouera son effroyable forfait et reconnaîtra s'être caché dans la dépendance. C'est bien l'appât du gain qui l'a conduit à commettre l'irréparable.
Le 3 mars 1931, l'affaire est jugée à Niort devant la cour d'assises des Deux-Sèvres. Dans la salle d'audience où s'entassent de nombreux pexinois, l'émotion est à son comble. Après le rappel des faits et l'audition des experts et des témoins, le procureur Chabrou réclame le "châtiment suprême pour ce crime affreux perpétré avec sauvagerie".
L'avocat de Maurice Pigeau entre alors en scène. Maître Jean de Lacoste, éminent spécialiste des affaires criminelles, s'emploie avec talent, une heure durant, le verbe haut et avec moult effets de manche, à sauver la tête de son client. Il rappelle l'enfance chaotique de ce dernier. Il met en exergue ses capacités intellectuelles et son entendement qui sont grandement altérés du fait de tares familiales indélébiles (son père est décédé à l'Asile des Aliénés de la Providence de Niort lorsque le petit Maurice avait 6 ans). Au terme de sa plaidoirie, Maitre de Lacoste implore les jurés : "Vous ne pouvez pas condamner à mort un être dont la responsabilité est incontestablement entamée". Les jurés écoutent. Les jurés hésitent. Les jurés doutent.
Après un bref délibéré, la cour accorde les circonstances atténuantes. Maurice Pijeau échappe à l'échafaud. Il est condamné à 20 ans de travaux forcés (nul n'entendra plus jamais parler de lui).
Le crime de l'avenue de Nantes a été jugé et son auteur condamné.
Georges Duroy
Pour écrire cette chronique, Georges Duroy a consulté les différents articles publiés dans le journal local de l'époque, "Le Mémorial des Deux-Sèvres"
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